
Ecrit par Matthieu Belloc,
Relu par Arthur Puybertier.
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Publié le 08 février 2023.
Dès leur plus jeune âge, les garçons se retrouvent embrigadés dans un système dicté par la violence et le patriotisme. Ramzan Kadyrov, actuel président tchétchène, dirige d’une main de fer le pays en y imposant une vision autocratique et primitive humainement parlant. Grand ami de Vladimir Poutine, Kadyrov voit dans les sports de combat qui se développent un vrai moyen d’éducation au combat et de mainmise sur de potentiels fidèles.
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« Il n’y a d’autre Dieu qu’Allah. Dans les nids des aigles, nos mères nous ont nourris. Nous pères nous ont enseigné d’apprivoiser le taureau ». Tels sont les premiers vers de l’hymne tchétchène, qui dénotent avec le conservatisme et le nationalisme du pays. Pour son indépendance, la petite contrée du Caucase a lutté pendant des siècles, subi même les fureurs de Staline, avant d’acquérir le statut dont elle a tant rêvé, le 10 janvier 1993. Aujourd’hui libre, cette région ne demeure pas pour autant paisible. La politique de Ramzan Kadyrov, placé à la tête de l'État par Poutine en 2007, honore les combattants tchétchène tombés au front dans un contexte certes contemporain, mais aussi très réactionnaire.
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Le président s’affiche à outrance comme un guerrier, un sportif et un combattant. Il y a quelques années, il s’était même illustré en recadrant l’un de ses ministres sur le ring. Le président a même fondé sa propre académie, dans laquelle il puise ses propres gardes du corps, le Akhmat Fight Club (en référence à son père Ahkmat Kadyrov, décédé en 2004). Il y organise régulièrement des dîners aux veilles de combat, durant lesquels il imprègne les esprits de son exigence. Il lui arrive même d’interférer dans les combats quand l’issue ne lui convient pas. La pression est considérable mais porte ses fruits au vu des résultats impressionnants : près de 86% des combats organisés sont remportés par son équipe.
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Répondre à la crise sociale par le combat
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A une échelle plus globale, valoriser le MMA en tant que sport national offre une arme diplomatique de choix à Kadyrov, qui peut redonner aux hommes leur place dans une société gangrenée par le chômage (70% chez les jeunes). Absorbés dans cet engrenage systémique dès le plus jeune âge, les futurs combattants sont des victimes de dérives humanitaires. Il n’est pas rare d’assister à des combats télévisés d’enfants (les plus jeunes ayant 8 ans) qui font l’objet de pari. Régulièrement critiqué par les défenseurs des droits de l’homme, Kadyrov ne s’exprime pas sur ce sujet, qui selon ses proches l’ennuie profondément. La pratique du MMA (sport qui traumatise physiquement et neurologiquement) chez les enfants ne se limite pas aux milieux populaires. Les fils ainés de Ramzan Kadyrov, Akhmad et Adam, combattent depuis qu’ils en ont la capacité. Adam lutte aujourd’hui en tant que professionnel et s’entraîne avec Khamzat Chimaev, sans doute le meilleur « pound for pound fighter » à l’heure actuelle.
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Un ancrage culturel régional
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Au-delà d’être un passe-temps, le combat fait partie intégrante de la vie dans les régions du Caucase et ne se limite pas à la Tchétchénie. Le Daghestan, à l’extrême Sud-Ouest de la Russie, est par exemple un vivier de stars de l’UFC (plus grande ligue d’arts martiaux mixtes américaine) telles que Khabib Nurmagomedov (champion poids légers) ; Islam Makhachev (champion poids légers) ou encore Magomed Ankalaev (prétendant poids lourds). L’hostilité qui règne dans ces régions y est pour beaucoup, à laquelle s’ajoute un taux de pauvreté et de violences très au-dessus de la moyenne. Il n’est pas surprenant dans de tels contextes d’assister à une montée exponentielle des autocraties. Employé comme réponse à la crise sociale et économique, le sport de combat dessert aussi la stratégie diplomatique internationale des dictateurs.
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Le domaine des sports de combat, loin d’être un divertissement mineur, révèle donc des dynamiques de mobilisation interne et de légitimation externe. Prisé par les dictatures, ce processus mérite donc bien le terme de Sportswashing.
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Matthieu Belloc
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Ulyces
FranceInfo

Jamais la place de l’homme dans la société tchétchène n’a été aussi forte qu’aujourd’hui. Persévérance, honneur et maîtrise de soi, piliers de l’art martial, dictent la conduite masculine. En s’appropriant ce discours, Kadyrov maquille un fondamentalisme religieux fort, au détriment de la condition féminine et de toute forme d’émancipation culturelle. Les armes, le sport, et en particulier la culture des sports de combat, ont toujours fait partie intégrante de sa propagande.
Le tchétchène Khamzat Chimaev (à gauche) au sol face à l’américain Kevin Holland (à droite)
L'Equipe
Combattants du Akhmat Fight club avec Ramzan Kadyrov et ses proches en arrière plan.
Bahrain News agency
Combats télévisés d’enfants à Grozny, capitale tchétchène.
Ulyces
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Khabib Nurmagomedov (à gauche) saluant Ramzan Kadyrov (à droite) avant son ultime combat face à Justin Gaethje le 24 Octobre 2020 à Abu Dhabi.
FranceInfo
L’exemple de Nurmagomedov est des plus flagrants. Incontestablement considéré comme l’ultime combattant de ce sport, le Daghestanais est vénéré en Tchétchénie. Invité par Kadyrov lui-même, il est couvert de cadeaux et est même fait citoyen d’honneur. En retour, « Nurmagomedov a présenté Kadyrov comme un bienfaiteur pour le Daghestan à un moment où les tensions étaient très fortes entre les deux provinces » raconte Merlin. Le champion de MMA est ainsi devenu un ami très utile pour le dirigeant tchétchène. De telles relations entre des athlètes membres d’une ligue américaine et un dictateur passe cependant très mal aux yeux de la police étasunienne.
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